Le 6 juin 2024 s’est tenue la première assemblée générale du Collectif Pluridisciplinaire de Recherche de Provenances à la fondation Lucien Paye (Paris), suivie d’une discussion animée par Hélène Ivanoff, spécialiste des biens spoliés pendant les persécutions antisémites des années 1933-1945, avec Maître Corinne Hershkovitch, avocate, spécialiste restitution des biens spoliés et présidente de l’association ASTRES, sur la déontologie et la professionnalisation du métier de chercheur de provenances.
Hélène Ivanoff : Dans le cadre du développement récent de la recherche de provenances et de la demande de transparence du secteur public et privé, comment garantir l’indépendance du chercheur de provenances ?
Maître Hershkovitch a évoqué ses premières expériences de recherche de provenances dans le cadre de restitution d’œuvres MNR-Musées Nationaux de Récupération en 1995. Son travail consistait à retracer la trajectoire des œuvres pour prouver la spoliation et établir la propriété des ayants-droits. Elle a souligné l’importance de l’indépendance du chercheur de provenances : Me Hershkovitch a regretté une position peu transparente des musées dans ces cas de demande de restitution. Selon elle, des chercheurs internes à l’institution auront toujours tendance à conserver l’œuvre au sein du musée. Ce point a plus tard été discuté, notamment car le CPRProvenances compte de nombreux membres d’institutions publiques dévoués à la recherche de la vérité et à l’application de la loi.
Selon Me Hershkovitch, l’indépendance du chercheur de provenances est garantie par :
- sa formation spécifique –la recherche de provenances étant interdisciplinaire– et, ainsi, par sa connaissance en termes de méthodes, de fonds d’archives, mais aussi de son imagination pour pouvoir penser à des lieux où des sources ou des traces pourraient se trouver en cas d’impasse ;
- sa pratique ;
- la reconnaissance des chercheurs comme des professionnels, et leur protection par un statut réglementé quant à la hiérarchie institutionnelle, ne dépendant pas d’un poste dans un établissement.
Elle a également souligné l’importance d’un collectif de chercheurs de provenances.
Hélène Ivanoff : Comment l’organisation collective peut-elle garantir l’indépendance des chercheurs de provenances ?
Pour Me Hershkovitch, cette protection par le collectif passe par le fait de créer des méthodologies et d’établir des documents de référence. Il n’existe pas encore d’autorité de référence sur ces questions : un ministère n’est pas indépendant, et l’UNESCO et l’ICOM n’ont pas vocation à se prononcer sur la méthodologie de la recherche de provenances. L’UNESCO n’a pas pour vocation d’élaborer ces documents et méthodes de recherche, et l’ICOM regroupe les institutions muséales, ce qui pourrait présenter un conflit d’intérêt lorsqu’on parle de recherche de provenances et de restitutions. C’est dans l’élaboration de règles que le collectif de chercheurs indépendants peut devenir une référence.
Une piste proposée lors de cette discussion est de doter le rapport de recherche de provenances de davantage de normes, en anticipant les différents lecteurs du rapport. Jusqu’à présent, le rapport de recherche de provenances a connu l’influence du milieu judiciaire, habitué au rapport d’expertise. C’est un document qui peut être utilisé dans des arbitrages légaux, sa rédaction est un enjeu important. L’autre pôle d’influence est celui du marché de l’art : comme les certificats d’authenticité, ce document doit convaincre tous les acteurs de la vente.
Hélène Ivanoff : Comment favoriser la collaboration entre institutions et chercheurs de provenances ?
Me Hershkovitch a noté que les institutions publiques sont de plus en plus sensibles à ces questions, comme en témoignent les récentes lois-cadres. Elle a souligné que cette évolution a commencé par la pression du marché privé : la provenance douteuse bloquait les ventes aux enjeux monétaires importants. En vingt-cinq ans, le changement de politique est notable. Mais selon elle, un manque de transparence perdure au sein des musées, menant à un manque de confiance et une collaboration pas toujours facile avec le service des musées de France.
Elle a cependant noté que de plus en plus de chercheurs de provenances travaillent désormais à l’intérieur des musées, en tant que personnel permanent. Mais elle a souligné qu’il n’y avait pas encore de normes communes, le plus important selon elle. Il s’agit désormais de définir plus clairement la notion de diligence requise au moment de l’acquisition et lors de demandes de restitutions.
Me Hershkovitch a suggéré de créer en France un Centre National de la Recherche de Provenances avec un comité scientifique pour poser les fondements de cette nouvelle discipline. Elle a appelé des chercheurs de provenances dans la salle à apporter des solutions, à répondre aux demandes du marché et des institutions à définir le seuil de recherches de provenances.
La discussion a ensuite été ouverte au public, composé des membres du CPRProvenances. La discussion a porté sur les thèmes suivants :
- le développement de méthodes et outils de recherche adaptés au gros volumes d’objets, notamment par l’intelligence artificielle ;
- la temporalité de la recherche, avec des délais demandés de plus en plus courts pour obtenir des résultats qui devront faire foi pour une vente ou pour l’exonération d’une collection ;
- le problème de l’objet « orphelin » –dont on ne trouve aucune trace nulle part, et qui devient donc « toxique » car il ne peut plus circuler ;
- la question du poids juridique des sources orales dans les litiges concernant les œuvres spoliées en situations coloniales. Me Hershkovitch rappelle que le témoignage est un type de preuve dans les enquêtes et les procès. Une discussion méthodologique est encouragée pour l’inclusion de l’histoire orale, le témoignage et les traditions orales dans l’enquête de recherche de provenances, en particulier là où les archives écrites sont lacunaires ou absentes (parfois volontairement). L’importance du contexte historique dans les discussions juridiques a été rappelée comme un élément capital.
- Un commentaire sur les lois-cadres, avec des regrets sur les limites de la loi française de restitution des restes humains (Loi n° 2023-1251 du 26 décembre 2023 relative à la restitution de restes humains appartenant aux collections publiques) et les difficultés à faire passer la loi sur les biens coloniaux.
La discussion a mis en évidence l’actualité de ce sujet –à savoir la place et le rôle du chercheur de provenances, qu’il/elle travaille de manière indépendante ou au sein d’une institution. Le Collectif lance donc un groupe de travail autour de la déontologie de la recherche de provenances et du métier de chercheur de provenances.
Image à la une: L’Assemblée générale 2024 du Collectif Pluridisciplinaire de Recherche de Provenances, Fondation Lucien Paye, Cité internationale universitaire de Paris, a été suivie d’une une discussion avec Me Corinne Hershkovitch (© Vanessa Boschloos).