[Les auteurs – Vanessa Boschloos, Mathilde Leduc et Madelon Dewitte – ne garantissent pas l’exhaustivité des activités et initiatives autour de la recherche de provenance en Belgique mais souhaitent offrir un aperçu général]

En juillet 2022, le Service public fédéral de programmation Politique scientifique belge (BELSPO) a annoncé dans son plan stratégique 2022-2024 qu’un centre de recherche de provenance va être créé à l’IRPA, l’Institut royal du Patrimoine artistique à Bruxelles, un des dix Établissements scientifiques fédéraux en Belgique. À l’approche des élections de mai 2024, le plan n’a pas encore été mis en œuvre. Néanmoins, cela offre l’opportunité de présenter un aperçu de l’état actuel de la recherche de provenance en Belgique. 


Ces dernières années, plusieurs débats et questions parlementaires – au niveau fédéral ainsi qu’au sein des gouvernements des entités fédérées – font mention de la recherche sur la provenance et les circonstances de l’acquisition de biens culturels non européens conservés aujourd’hui en Belgique. En Belgique, le patrimoine mobilier est une compétence des Communautés (flamande, française et germanophone) et de la Région Bruxelles-Capitale, mais la recherche de provenance est aussi un thème pertinent pour les établissements scientifiques qui relèvent de l’État fédéral. Ainsi, plus récemment, ce sujet a été discuté au Sénat (question n° 7-1449 du 29/12/2021) et à la Chambre des représentants (questions n°s 55-183 du 8/12/2022, 55-144 du 27/07/2022, 55-69 du 23/06/2021).
Au niveau de l’Etat fédéral, Thomas Dermine, Secrétaire d’État chargé de la Politique scientifique fédérale, a alloué un budget dans le cadre d’un plan d’action visant à implémenter des mesures pour la décolonisation de l’espace public. Il s’agit, entre autres, de 2,3 millions d’euros pour la recherche de provenance au sein de l’AfricaMuseum de Tervuren (projet PROCHE). Ce budget spécifique s’est accompagné de la création de groupes de travail, et ensuite du lancement de projets de recherche (sur la restitution de collections coloniales et sur les restes humains conservés dans les institutions culturelles).
Contrairement aux pays voisins, les établissements d’enseignement supérieur belges n’offrent pas de formations en recherche de provenance. Si la recherche de provenance devrait être une constante dans les musées, suivant le code de déontologie de l’ICOM, ce n’est que récemment que les institutions ont commencé à recruter des chercheurs.ses se focalisant strictement sur la recherche de provenance, sur des contrats à durée déterminée. En 2022, le MAS-Museum aan de Stroom à Anvers a recruté un chercheur de provenances (plein-temps, 2022-2024) et l’AfricaMuseum à Tervuren a proposé deux contrats (en 2022 un plein-temps pour le projet PROCHE, et en 2023 un temps partiel pour le projet PROMA); en mai 2023, le MRBAB-Musée Royal des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles a ouvert trois postes – dont deux doctorats – pour le projet ProvEnhance portant sur les spoliations 1933-1945 (plein-temps, 2023-2027).

Dans ce premier article, nous vous proposons de mettre en évidence l’état de la recherche de provenance en Belgique sur les collections liées au passé colonial belge et sur les restes humains.

Concernant les biens culturels liés au passé colonial belge

Pour les collections d’origine coloniale et conservées au sein des musées fédéraux, la recherche de provenance en Belgique n’est pas une pratique récente, mais elle a fait l’objet d’un nouveau coup de projecteur politique à partir de 2021. La recherche de provenance est en effet inhérente au sein des tâches des scientifiques et des conservateurs de collections, même au sein de l’ensemble de leurs obligations (catalogage, réalisation d’expositions, etc.) De même, les procédures de restitution ne sont pas nouvelles. On peut citer le départ d’un ensemble d’environ 1042 objets de l’AfricaMuseum de Tervuren pour l’Institut des Musées Nationaux du Zaïre entre 1973 et 1982 (Van Beurden 2015).

Les évolutions récentes se situent plutôt dans la suite du lancement en 2020 d’une ‘Commission spéciale chargée d’examiner l’État indépendant du Congo et le passé colonial de la Belgique au Congo, au Rwanda et au Burundi, ses conséquences et les suites qu’il convient d’y réserver’. Les 128 préconisations du rapport final de décembre 2022 – préconisations finalement non adoptées – mentionnent notamment des thématiques liées à la question des restitutions et donc à son préalable nécessaire ; la recherche de provenance. C’est parallèlement à cette Commission que le budget évoqué plus haut mis en place par le Secrétaire d’État Thomas Dermine a été débloqué. Ce fonds spécifique, limité à quatre ans, a permis entre autres le recrutement de quatre chercheuses de provenance à l’AfricaMuseum travaillant sur les 83.243 objets provenant de la République démocratique du Congo et plus largement de l’Afrique centrale (nommé projet PROCHE). Ces objets correspondent à l’inventaire qui a été transmis au Premier Ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde en février 2022, en présence du Premier Ministre belge Alexander De Croo et du Secrétaire d’État Thomas Dermine. Cette liste permettra à Kinshasa d’exprimer des demandes de restitution.
Parallèlement, la Politique Scientifique soutient à un niveau plus limité financièrement un projet nommé PROMA qui se poursuivra jusqu’à 2026. Ce projet adopte une approche plus ciblée en mettant l’accent sur l’analyse de la perspective de genre dans la recherche de provenance et leur présentation au public. Le War Heritage Institute (anciennement Musée de l’Armée, dépendant du Ministère de la défense) a également lancé un projet touchant à la recherche de provenance, CAHN-Congo-Arab Heritage in Historical Narratives (2020-2025).

Une des vitrines ‘recherche de provenance’ au AfricaMuseum, avec un siège en bois de Shaba (RDC) (n° d’inv. EO.0.0.28669) dans la catégorie ‘faisant actuellement l’objet d’une recherche de provenance’ (© Vanessa Boschloos, photo prise en mai 2023).
Une des vitrines ‘recherche de provenance’ au AfricaMuseum, avec un siège en bois de Shaba (RDC) (n° d’inv. EO.0.0.28669) dans la catégorie ‘faisant actuellement l’objet d’une recherche de provenance’. En collaboration avec FARO-Centre d’appui flamand pour le patrimoine culturel, l’AfricaMuseum a développé en 2021 un ‘parcours provenance’ à travers son exposition permanente. Une application mobile vous permet d’accéder à des informations sur le contexte et la provenance de l’objet. (© Vanessa Boschloos, photo prise en mai 2023)

La question de la recherche de provenance au sein des collections publiques non fédérales suscite également un intérêt croissant. Néanmoins, au niveau des subventions (qui ne peuvent être que locales), les projets ne permettent pas de mettre en place des financements spécifiques d’importance ou ancrant la recherche de provenance sur le long terme. Le Département Culture de la Communauté flamande co-finance un projet de recherche de deux ans au MAS qui permettra au musée anversois d’examiner la provenance et les circonstances d’acquisition de sa collection d’environ 5.000 objets d’origine congolaise. Si le MAS a pérennisé sa réflexion sur le sujet, en s’associant à d’autres institutions (l’AfricaMuseum et FARO-Centre d’appui flamand pour le patrimoine culturel), la situation diffère considérablement du côté de Bruxelles et de la Wallonie. Restitution Belgium, un groupe de travail informel d’experts issus des mondes académique, professionnel ou associatif, a rendu un rapport en 2021, mais des actions concrètes et des financements ne semblent pas avoir suivi cette initiative.

Capture d’écran de la page web consacrée au projet du MAS-Museum aan de Stroom.
Capture d’écran de la page web consacrée au projet du MAS-Museum aan de Stroom.

Il semble donc que ce soit au niveau du fédéral que les avancées ont été plus marquantes. Le projet de loi du 22 avril 2022 et la loi du 3 juillet 2022 reconnaissant le caractère aliénable des biens liés au passé colonial de l’Etat belge et déterminant un cadre juridique pour leur restitution et leur retour est un revirement juridique, qui pose en son sein le principe de la recherche de provenance. La loi met en place une commission bilatérale de restitution, qui se basera sur un avis préalable issu d’une recherche de provenance. À ce jour, cette commission n’a pas encore été mise en place.

Cependant, tous ces projets et financements semblent s’inscrire dans une perspective de courte durée, allant rarement au-delà de 2024-2026. La recherche de provenance, sur les objets issus du contexte colonial belge comme le statut des scientifiques la pratiquant, est donc d’autant fragilisée par ce manque de pérennité et d’inscription dans le long terme et ce, alors que les musées – qu’ils soient régionaux ou fédéraux – ne se remettent guère des coupes budgétaires de la dernière décennie.

Concernant les restes humains

En Belgique, la recherche de provenance est focalisée sur les œuvres, les objets d’art, et les objets liés au passé colonial du pays. S’y inscrivent aussi la question juridique et le débat autour de la restitution de restes humains à leurs communautés d’origine. Il n’existe actuellement en Belgique aucun cadre juridique spécifique pour le rapatriement des restes humains. Ils sont même explicitement exclus du susmentionné projet de loi pour la restitution des biens culturels dans les musées fédéraux, adopté le 3 juillet 2022. Cette lacune juridique est traitée par Marie-Sophie de Clippele dans un ouvrage qui vient de paraître, Restes humains et patrimoine culturel, de quels droits?. Les questions juridiques et éthiques autour la provenance, la restitution et l’exposition de restes humains sont particulièrement d’actualité, entraînant l’organisation de journées d’étude, plus récemment encore une organisée par FARO et une autre par Anthemis.

Trompe tibétaine fabriquée dans un fémur humain (rkang-gling), conservée au Musée des Instruments de Musique à Bruxelles, n° d’inv. 2199. (© KMKG-MRAH, collections en ligne)
Trompe tibétaine fabriquée dans un fémur humain (rkang-gling), conservée au Musée des Instruments de Musique à Bruxelles, n° d’inv. 2199. (© KMKG-MRAH, collections en ligne)

Entre 2019 et 2022, BELSPO a financé le projet HOME: Human Remains Origin(s) Multidisciplinary Evaluation, qui a mené une enquête auprès des institutions publiques et privées belges hébergeant des restes humains, d’origine belge ou étrangère. Ce projet a démontré, entres autres, que, parmi les participants à l’enquête, 1) toutes les institutions ne disposaient pas d’un inventaire des restes humains qu’elles conservent, 2) la grande majorité des restes est d’origine belge, mais aussi que 3) plus que 90% des restes humains appartiennent à des individus non-identifiés. En général, la recherche de provenance est inexistante, pas réalisée de manière méthodique, ou encore basée sur des projets ad hoc. Conformément aux recommandations de Restitution Belgium (2021) cité plus haut, les chercheurs du projet HOME recommandent une recherche de provenance proactive, une augmentation significative du financement de la recherche de provenance, en Belgique et dans les pays d’origine, ainsi que des programmes de sensibilisation et de réhabilitation dans le pays d’origine. 
La question du restitution-rapatriement fait aussi partie des treize recommandations formulées par le Comité consultatif de Bioéthique de Belgique en ce qui concerne les restes humains conservées dans des collections muséales et scientifiques – y sont inclus les objets associés avec ces restes. Le Comité précise que, aussi pour les restes humains provenant d’une région hors du contexte colonial, “les circonstances de leur acquisition sont susceptibles d’être problématiques et doivent être examinées au cas par cas” (Avis n° 82 du 23/03/2023, p. 17).

A suivre…

L’état actuel de la recherche de provenance en Belgique sur les spoliations de la Deuxième Guerre mondiale et sur les biens archéologiques ainsi que la condition actuelle du marché de l’art concernant ces questions feront l’objet du prochain article du blog.

Bibliographie

Image à la une: En collaboration avec FARO-Centre d’appui flamand pour le patrimoine culturel, l’AfricaMuseum a développé en 2021 un ‘parcours provenance’ à travers son exposition permanente. Une application mobile vous permet d’accéder à des informations sur le contexte et la provenance de l’objet. Ici, la vitrine avec le masque d’éléphant n° d’inv. EO.0.0.3722. (© Vanessa Boschloos, photo prise en mai 2023)

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