Juin 2001. Au Musée historique d’Abomey, au Bénin, on constate la disparition d’un sabre en fer et bois nommé Goubassa. Aujourd’hui, 22 années plus tard, les circonstances du vol ne sont toujours pas claires, et on ignore la localisation actuelle de l’objet.
En se focalisant sur le cas du Goubassa, mon étude s’appuie sur des revues documentaire, entretiens, enquêtes sur le terrain et analyse contextuelle. L’objectif est d’explorer l’intérêt esthétique et patrimonial du Goubassa, d’analyser le marché de l’art, les circonstances de sa disparition, et d’apprécier les efforts déployés par le Bénin pour le récupérer.
Les vols et le trafic illicite de biens culturels sont alimentés par diverses causes, notamment l’ignorance et la mauvaise éthique. Le cas du Goubassa révèle des lacunes humaines, techniques et technologiques au sein du musée, exposant des faiblesses sécuritaires et éthiques.
L’étude souligne la complexité de la recherche de provenance et de la lutte contre le trafic illicite. Des problèmes spécifiques sont identifiés, tels que l’absence d’implication d’institutions internationales, la sécurité limitée du Musée historique d’Abomey, la sensibilité du sujet et le manque d’informations. A l’issue de la recherche, j’ai proposé des recommandations pour résoudre ces problèmes et accélérer la recherche, à l’intention des acteurs du secteur.
Le Goubassa et son importance patrimoniale et esthétique
Le Goubassa est un sabre de la divinité Gou, en matériaux composés de fer et de bois, et long de 142 cm. Une copie moderne de ce chef d’oeuvre du 19e siècle est présentée aujourd’hui au Musée historique d’Abomey.
La photographie sur la fiche de l’Institut fondamental d’Afrique noire est prise en 1952-1954 et publiée dans le Guide du Musée d’Abomey (Mercier et Lombard 1959), avec la légende : “(Cliché I.F.A.N. – Photo A.[ndré] Cocheteux) Assin Goubassa représentant toutes les armes du royaume dont la puissance est évoquée par cet emblème. Attribut principal de Gou, génie du fer et de la guerre.”
Méthodologie de la recherche
Le traitement de ce sujet nous a contraints à nous positionner au croisement de l’histoire de l’art, de l’économie de la culture, du marché de l’art et bien entendu de la circulation et du trafic des biens culturels. À partir de l’étude de l’objet, la valeur refuge1 et intrinsèque (matériaux, formes, esthétiques, spécificités, intérêt pour le marché de l’art parallèle), j’ai analysé la sécurité et la sûreté au Musée historique d’Abomey, et par extension dans les musées du Bénin. Une attention particulière a été portée sur les démarches de l’État-partie, la collaboration internationale mise en œuvre et les résultats obtenus.
En envisageant le processus de restitution des biens culturels aux pays qui ont été autrefois victimes du pillage colonial, il est possible que les objets africains commencent à être perçus différemment par ceux qui n’en avaient pas conscience de leur importance. En appréciant le contexte muséal au Bénin, j’ai étudié ce sujet pour faire le point en termes d’histoire de l’art, de parler de cet objet volé. Quand on dépasse ce niveau d’interrogation, je propose de me pencher sur les démarches menées par le Bénin.
Difficultés rencontrées
Il est naturel que tout travail de recherche rencontre quelques difficultés. Les miennes n’ont pas été de nature à entraver la réalisation de cette étude et quelques-unes méritent de même d’être soulignées. La première difficulté est la sensibilité du sujet traité. Selon le Directeur du Patrimoine Culturel, Paul Akogni (entretien téléphonique du 5 juin 2022), je traite un sujet très sensible. Il ne nous a pas toujours été facile d’avoir les informations. Quelques acteurs ont été réticents à s’exprimer sur le sujet du fait que certains acteurs en poste au moment de la disparition du Goubassa sont toujours actifs. La deuxième difficulté est relative au fait que je ne sois pas présente au Bénin en ce moment pour rencontrer les personnes ressources. Les entretiens se sont déroulés par téléphone et par écrit. Certains interlocuteurs me demandaient de ne pas les enregistrer. Ce sujet traité reste encore sensible du fait de la nature de l’objet, des conditions de sa disparition ou de la présence actuelle des acteurs impliqués dans sa gestion à l’époque. En croisant les données collectées, on est loin de penser que toute la vérité sur le sujet est déjà faite. Le Musée historique d’Abomey a été le cadre qui a permis de traiter le vol d’objet et la sécurité des musées publics en Afrique au Bénin en particulier pour mettre en application les notions théoriques et renforcer nos capacités pour la rédaction de notre mémoire. Il sera présenté successivement à travers son historique, ses missions, et ses attributs. Situé à Abomey, la capitale historique du Bénin dans le département du Zou, plus précisément dans l’arrondissement Vidolé et le quartier Dota, le Musée historique d’Abomey fait 4,5 ha. C’est un espace culturel, artistique et touristique qui n’est qu’une composante du Site des Palais Royaux d’Abomey.
La sécurité des musées en Afrique et au Bénin
Le problème de sécurité dans les musées africains est lié au sous-équipement de ces États qui sont confrontés à des défis sur le plan technologique et une insuffisance de moyens humains. La sécurité concerne la prévention des risques d’incendie, d’inondation, mais aussi des attaques et attentats, ainsi que leurs conséquences sur les biens et les personnes. La sûreté concerne la prévention des vols et des malveillances : la sûreté dans un musée concerne tout le monde et nécessite la mise en place d’un protocole, tout en mettant l’accent sur l’information, la communication et la formation continue.
Le marché de l’art au Bénin et dans la sous-région : la place du collectionneur
Durant un entretien téléphonique que j’ai eu le 4 juin 2022 avec Gabin Djimassè, historiographe d’Abomey, il exprime sa préoccupation concernant le marché noir de l’art en Afrique, principalement alimenté par des antiquaires et des collectionneurs privés américains et européens. Selon lui, les Européens visitent le Bénin pour acquérir des œuvres anciennes, parfois appelées « art africain » ou « art primitif ». Le marché de l’art était très actif en Afrique et au Bénin, avec des antiquaires récupérant des œuvres auprès des propriétaires pour les vendre à des intermédiaires européens, en grande partie destinées aux États-Unis.
En revanche, les collectionneurs béninois sont rares en raison des difficultés financières. Les Européens ont longtemps sous-estimé la capacité des Africains à thésauriser en pensant qu’ils étaient pauvres. Pourtant, il existe des collectionneurs locaux, comme Gabin Djimassè, qui investissent dans des objets d’art cultuels vodou.
Une des principales difficultés est l’entretien coûteux des collections. Néanmoins, à l’ère de la restitution, le travail des collectionneurs commence à être reconnu. Aujourd’hui, être collectionneur au Bénin a un sens, et il y a une prise de valeur de cette activité.
Enfin, Gabin Djimassè suggère que les États africains, en collaboration avec les collectionneurs, devraient négocier la mise à disposition des œuvres pour éviter leur précarité et destruction par manque de suivi et d’entretien, que ce soit en les cédant symboliquement à l’État ou en les vendant pour leur préservation.
Selon Cossi Zéphirin Daavo, enseignant-chercheur à l’Institut National des Métiers d’Art, d’Archéologie et de la Culture (entretien téléphonique 6 juin 2022), le marché de l’art en Afrique n’est pas bien organisé, bien que prospère. Le trafic illicite est largement répandu, mais il n’y a pas de marché de l’art officiellement établi avec des galeries et des marchands reconnus. Les ventes d’objets se déroulent souvent dans des conditions quasi-clandestines, notamment au Centre de Promotion Artisanale à Cotonou. Contrairement à des endroits comme Paris, où il existe des maisons de vente aux enchères, les objets d’art en Afrique sont souvent mal documentés en ce qui concerne leur origine et les conditions d’achat.
Le Bénin n’est pas considéré comme un centre majeur du commerce illicite de biens culturels, contrairement à des pays comme le Mali, le Niger et la Côte d’Ivoire, où les grands collectionneurs trouvent plus d’objets d’art.
Les vols d’objets d’art au Bénin sont généralement le fait de quelques délinquants qui vendent ces objets aux Européens. Toutefois, il n’existe pas de vastes organisations criminelles de trafic d’œuvres d’art que la police pourrait traquer, comme on peut le voir dans d’autres pays. De plus, le Bénin ne possède pas de sites archéologiques majeurs contenant des objets anciens, contrairement à des pays comme le Mali, où les sites archéologiques ont été systématiquement pillés. Selon Patrick Effiboley, dans un entretien que nous avons eu le 27 juin 2022, le marché de l’art au Bénin est encore à un stade préliminaire. Il y a quelques collectionneurs importants parmi les ministres et anciens présidents d’institutions, mais un marché d’art nécessite à la fois des vendeurs et des acheteurs, c’est-à-dire une offre et une demande. Actuellement, le Bénin compte des artistes aux productions de valeurs plus ou moins importantes, mais il n’existe pas encore de cadre formel ou officiel pour acheter des œuvres d’art. Le Centre de Promotion de l’Artisanat joue un rôle similaire pour les objets artisanaux, mais il est menacé de démolition pour un projet futur. En résumé, il n’y a pas encore de lieu dédié aux activités liées à l’art au Bénin.
Analyse du vol du Goubassa et du trafic illicite au Bénin et dans la sous-région
Il apparaît que le vol et le trafic d’ objets culturels constituent à la fois une problématique structurelle et ponctuelle. En analysant les conditions de disparition du Goubassa, on se rend compte d’un certain nombre de faiblesses et défaillances.
La sécurité n’était pas suffisante. Il ressort des déclarations du conservateur de l’époque que seuls deux agents, âgés, assuraient la sécurité du musée. S’y ajoutent le manque et la défaillance des équipements mécaniques et électroniques de sécurité et de sûreté de types caméras de surveillance et détecteurs de présence. Tout ceci peut expliquer la facilité avec laquelle le vol a été opéré. La formation des agents et l’utilisation des ressources gouvernementales, fournies par le biais de la DPC et du Ministère de la Culture, sont des facteurs qui peuvent expliquer l’une des solutions trouvées par les autorités en termes de sécurité au niveau des musées. Par ailleurs, les tensions entre les familles royales et leur système bicéphale à l’époque –d’un côté le roi Dédjalagni Agoli-Agbo et de l’autre Houédogni Béhanzin– n’excluent pas que ces rivalités soient à l’origine de la disparition de l’objet.
Au plan national, les démarches entreprises pour retrouver le Goubassa ont été limitées pour diverses raisons et n’ont pas eu un écho au plan international. Bien que l’équipe du musée ait saisi la gendarmerie, rédigé des rapports à la Direction du Patrimoine Culturel et au Ministre avec des propositions, notre recherche n’a pas vu les traces ou les effets des démarches sur la liste internationale d’INTERPOL. Toutefois, le Bénin est le 50e État à avoir adhéré à la Convention d’UNIDROIT de 1995 sur les biens culturels volés ou illicitement exportés et importés. Cette Convention, présentée à l’Assemblée nationale en 2019, est entrée en vigueur le 1er juillet 2021. Par ailleurs, le 1er mars 2017, le pays a déposé auprès de la Directrice générale de l’UNESCO son instrument de ratification de la Convention de 1970 concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels. Conformément aux dispositions de son article 21, la Convention de 1970 est entrée en vigueur trois mois après la date de dépôt dudit instrument, soit le 1er juin 2017.
Ces deux conventions n’étant pas rétroactives, les réflexions et la veille doivent être permanentes pour continuer à suivre les traces du Goubassa dont l’intérêt patrimonial, historique comme esthétique, est attesté.
Il est à espérer que cet objet soit retrouvé un jour, et cela se fera si, et seulement si, les acteurs clés, les douaniers sensibilisés, et les autorités prennent en compte les propositions faites par notre recherche en termes de sécurité et sûreté des musées au Bénin. Sans chercher à nous substituer au travail des services douaniers béninois et mondiaux, INTERPOL, l’UNESCO et tous les autres acteurs, nous pensons que la possibilité que l’objet se trouve toujours sur le territoire béninois n’est pas à exclure.
Par ailleurs, le gouvernement béninois a entrepris la construction d’un nouveau musée à Abomey en lieu et place de l’ancien. Il s’agit du Musée des Rois et des Amazones du Danhomé, visant à élever les normes de sécurité et de sûreté. La coopération entre la France et le Bénin, avec le soutien de l’ÉPA-École du Patrimoine Africain, permettra de renforcer les compétences ? des professionnels du patrimoine.
En somme, cette recherche offre des recommandations concrètes pour lutter contre ce problème, soulignant l’importance de la coopération internationale et de la mise en œuvre de mesures de sécurité améliorées pour préserver le riche patrimoine culturel du Bénin.
1 Dans le domaine du patrimoine culturel, le terme « valeur refuge » peut être utilisé pour désigner des éléments culturels, artistiques ou historiques qui sont considérés comme particulièrement précieux et dignes de préservation. Ces éléments culturels sont souvent protégés et préservés avec soin pour les générations futures en raison de leur importance historique, artistique, ou symbolique. Par exemple, des œuvres d’art majeures, des bâtiments historiques, des manuscrits anciens, des traditions culturelles uniques, et d’autres artefacts peuvent être considérés comme des « valeurs refuges » dans le domaine du patrimoine culturel en raison de leur contribution à la richesse culturelle et à l’identité d’une société ou d’une communauté.
Bibliographie
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- BEAUJEAN, Gaëlle, L’art de cour d’Abomey, le sens des objets, Dijon, Les presses du réel, 2019.
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- CRAMPETTE, Jeanne, Réparer le passé et protéger l’avenir: la protection du patrimoine culturel en Afrique subsaharienne à travers les exemples de la République du Bénin et du Nigéria, mémoire de stage, UNIDROIT/UCAP, 2021.
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- MINISTÈRE TOURISME BÉNIN, Formations et conférences sur la sureté – sécurité des musées et établissements culturels au Bénin, YouTube, 14 Septembre 2022, dernière consultation le 30 août 2023.
- QUENUM, Venance S., Musee d’Agbome. Sa creation, Abomey, s.éd., 1986.
- SALANON, Sonia, Problématique des vols et trafics illicites des biens culturels au Bénin : Le cas du Goubassa du Musée Historique d’Abomey, mémoire de recherche (inédit), dir. Gaëlle Beaujean et Cossi Zéphirin Daavo, Paris, Université Paris-Nanterre, 2022.
- SARR, Felwine, SAVOY, Bénédicte, Restituer le patrimoine africain, Seuil, Edition Philippe Rey, 2018.
Image à la une: Le Goubassa du Musée historique d’Abomey, avant sa disparition. Photo prise par Imorou Abdoulaye, actuel gestionnaire du site des Palais royaux d’Abomey et conservateur du Musée historique d’Abomey (reproduit avec sa permission).
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