[Un article introductoire par le même auteur a été publié le 30/09/2024, ‘Le NAGPRA pour les nuls‘]

Depuis le début de l’année 2024, les derniers changements concernant le NAGPRA – Native American Graves Protection and Repatriation Act, voulu par le Ministère de l’Intérieur américain (US Department of the Interior), ont pris effet.

Le NAGPRA voté en 1990 est l’aboutissement d’un long processus de rencontres et d’échanges entre les Premières Nations amérindiennes et les niveaux gouvernementaux fédéraux, les institutions fédérales ou subventionnées par l’État fédéral. Cette loi et celles qui l’ont précédée dans les deux décennies antérieures permettaient directement ou indirectement de garantir la pratique religieuse des Nations amérindiennes, la protection des sites sacrés, mais surtout le retour des ancêtres (restes humains) et des objets sacrés, cultuels ou funéraires, ayant fait l’objet, au cours des derniers siècles, de saisies arbitraires, de trafic, ou de commercialisation. Le NAGPRA inscrivait pleinement dans le US Code l’obligation de respect et de protection de la culture des Amérindiens et les droits religieux et patrimoniaux qui y étaient attachés.

Plus de trois décennies plus tard, malgré des avancées significatives dans la restitution des restes humains et des objets culturels vers les communautés amérindiennes, ces communautés ont estimé qu’il restait encore bien du chemin à faire. Les critiques visaient la lenteur avec laquelle les institutions procédaient à ces restitutions, le manque de moyens mis à disposition par le Bureau ad hoc pour financer la recherche de provenance et la restitution des restes humains et des objets éligibles pour les répartitions.

Les régulations révisées de la NAGPRA, entrées en vigueur en janvier 2024, cherchent donc tout d’abord à améliorer le processus de restitution des ancêtres et des artefacts et la communication des informations sur des collections d’origine amérindienne disponibles dans les collections publiques. C’est un changement essentiel qui accroît l’autorité des Premières Nations sur la gestion de leur patrimoine au sein des institutions bénéficiant de financements fédéraux. Tout comme lors de la mise en place du NAGPRA en 1990, ce changement législatif concerne non seulement les agences fédérales et les musées, mais aussi d’autres institutions non fédérales telles que les bibliothèques, les universités et les parcs bénéficiant indirectement de fonds fédéraux. Le champ d’action du NAGPRA s’en trouve modifié avantageusement.

"NAGPRA and Ethical Repatriation", Museum of the Cherokee People, Cherokee, North Carolina (© sarahstierch, publié sous CC BY 2.0).
« NAGPRA and Ethical Repatriation« , Museum of the Cherokee People, Cherokee, North Carolina (© sarahstierch, publié sous CC BY 2.0).

L’obligation d’une consultation

Un premier changement à prendre en considération est l’exigence pour les institutions d’obtenir un « consentement libre, préalable et informé » des Nations amérindiennes concernées avant toute exposition, accès ou recherche impliquant des restes humains ou des objets culturels provenant de ou associés à leur Nation. Cette exigence majeure contraint les musées à mettre en pause, voire à fermer des expositions, à moins d’obtenir les permissions nécessaires des tribus, affectant ainsi l’accès public à l’art et au patrimoine amérindien, hawaïen et alaskien à travers le pays. Depuis janvier 2024, faute d’un accord préalable, les musées n’avaient donc pas d’autres choix que d’occulter les vitrines pour masquer les collections exposées, de retirer et mettre en réserve les objets en attente d’un processus de consentement, ou de risquer une amende pour non-conformité.

Les musées ont donc dû rapidement s’adapter. Le American Museum of Natural History, situé à New York, a ainsi fermé dès fin janvier plusieurs salles de son exposition permanente qui présentaient des objets d’origine amérindienne, sans avoir le consentement clair des Premières Nations amérindiennes concernées. Le Field Museum à Chicago a, pour sa part, fait le choix d’occulter les vitrines contenant des objets culturels, faute de pouvoir produire un consentement à l’exposition.

Cette adaptation du NAGPRA devrait donc rapidement générer, à terme, des changements dans les expositions permanentes, avec une traçabilité des échanges et des accords obtenus au préalable pour ces expositions. Cette disposition du NAGPRA facilite la réappropriation des objets culturels et de leurs biographies dans les expositions consacrées aux nations amérindiennes.

Image : Façade du Field Museum, Chicago, octobre 2020 ("Field Museum Entrance", © A.J. in Chicagoland, domaine public).
Façade du Field Museum, Chicago, octobre 2020 (« Field Museum Entrance« , © A.J. in Chicagoland, domaine public).

Élargissement de la notion d’objet culturel

Le deuxième changement à noter dans cette réforme du NAGPRA est la redéfinition de ce qui constitue un objet culturel protégé. Dans le texte original de 1990, la loi se concentrait principalement sur la restitution des restes humains, des objets funéraires associés et des objets sacrés cérémoniels et/ou religieux. Cependant, de nombreux artefacts d’importance culturelle n’étaient pas couverts par cette approche. La nouvelle législation ouvre plus largement la catégorie des objets liés aux pratiques culturelles et religieuses.

Désormais, en plus des objets funéraires et sacrés, la nouvelle définition inclut des objets culturels qui étaient précédemment exclus de la protection de la loi, tels que les artefacts ayant une importance particulière dans les traditions vivantes. Cela signifie que des objets liés à des cérémonies non funéraires, mais d’importance culturelle profonde, ou ayant une valeur historique ou symbolique, sont désormais protégés et doivent faire l’objet d’une restitution.

Cette nouvelle réglementation touche également les collections amérindiennes numérisées ou virtuelles Cette extension vise à protéger les droits des Nations amérindiennes en matière de numérisation de leur patrimoine culturel. Toute production (images, enregistrements audio ou vidéo, et autres objets provenant de la numérisation des objets culturels relevant du NAGPRA) doit être prise en compte dans les délibérations avec les nations amérindiennes. Enfin, les objets culturels contemporains, qui ont une vraie signification culturelle pour les nations amérindiennes, tombent également sous la protection du NAGPRA. Désormais protégées, les créations modernes continuent à jouer un rôle dans les traditions vivantes des communautés autochtones.

La mise en place de délais concernant les processus de gestion des demandes

Enfin, l’élément le plus important de la réforme du NAGPRA concerne l’accélération des procédures de restitution. Les détenteurs de collections doivent désormais communiquer une liste de leurs collections pouvant contenir des restes humains ou des objets culturels aux nations concernées avant la mi-janvier 2025 et soumettre leurs inventaires avant la mi-janvier 2029.

Les nouvelles dispositions introduisent des délais plus stricts pour la restitution des objets culturels. Auparavant, le processus de restitution pouvait être entravé par une bureaucratie excessive et l’allongement des procédures, quelles qu’en soient les raisons. Désormais, les musées et les institutions ont des échéances clairement définies pour traiter les réclamations, organiser les consultations et effectuer les restitutions. Les institutions disposent d’un délai maximum de 30 jours après une acquisition pour organiser une consultation avec la nation amérindienne responsable ; les demandes de rapatriement doivent désormais être traitées en moins de 90 jours, et le transfert doit se faire dans les 30 jours suivants. Les institutions disposent de 180 jours pour rendre un avis en cas de demandes concurrentes. Ce changement a pour but d’éviter des délais indus qui nuisent aux efforts de restitution et est accompagné de sanctions financières substantielles en cas de non-respect des délais.

L’impact de la mise en place de ces calendriers restrictifs risque de poser problème, comme l’Association des Musées américains l’a souligné dès 2022 lors de la consultation sur l’adaptation du NAGPRA. L’association a souligné que le temps très court laissé aux musées pour procéder à une consultation était irréaliste, de même que les objectifs de la nouvelle réglementation étaient irréalisables au vu des moyens (personnel et ressources financières) dont les musées disposent actuellement. Sans ressources adéquates supplémentaires, les musées et institutions publiques de plus petite envergure, auront du mal à se mettre à niveau des nouvelles normes.

Parmi les risques de contentieux, outre le manque de moyens, rappelons que le NAGPRA ne bénéficie qu’aux 574 groupes amérindiens reconnus par le gouvernement fédéral des États-Unis. Cela exclut de l’équation les 400 groupes non reconnus, ainsi que d’autres groupes amérindiens géographiquement situés en dehors des USA mais dont des objets funéraires, sacrés, cérémoniels ou même des restes humains seraient en possession d’institutions situées aux USA.

Bibliographie

Image à la une: Logo du NAGPRA (© National Park Service, image publiée sur leur site web)

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