Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Native American Graves Protection & Repatriation Act sans jamais oser le demander

Actuellement de nombreux musées d’Europe gardent et exposent des objets religieux et sacrés, des œuvres d’art et même des restes humains, issus de cultures diverses exogènes. Ils se trouvent à l’intersection de divers intérêts sociétaux complexes et parfois concurrents, en butte à des revendications politiques et culturelles dont l’articulation n’est pas forcément évidente. En Europe, des pays comme la France, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique adoptent des approches variées et non coordonnées pour répondre à ces revendications. Il est intéressant de voir comment les États-Unis ont réglé la question des restitutions de ces objets, religieux ou non, à leurs producteurs, les peuples amérindiens.

La volonté de restituer des objets aux descendants des producteurs spoliés des Premières Nations américaines procède d’une histoire différente de celle de l’Europe. La législation américaine du NAGPRA – Native American Graves Protection & Repatriation Act (trad. : Loi fédérale sur la protection et le rapatriement des tombes des natifs américains) ne peut s’appliquer qu’aux États-Unis et concerne uniquement les revendications des Nations Amérindiennes. Les biens des Amérindiens détenus de façon discutable ailleurs dans le monde échappent au NAGPRA, de même que les biens spoliés détenus sur le sol américain ne peuvent que difficilement échapper au NAGPRA. Cette présentation du NAGPRA ne vise donc pas à comparer ces approches, mais à offrir des pistes de réflexion sur la complexité des propositions pratiques liées aux restitutions.

Émergence du NAGPRA : les cas précurseurs et leurs impacts

Le NAGPRA s’inscrit dans le contexte politique et législatif favorable des années 1970. En 1970, les États-Unis participent à la Convention de l’UNESCO sur la prévention de l’exportation illicite des biens culturels qui met en avant l’importance de la loi du pays d’origine des objets. La Convention fut approuvée par le Sénat américain en 1972, mais il fallut attendre 1983 pour que le Congrès adoptât la Convention concernant les biens culturels et interdisant leur exportation.

Plusieurs lois ont préparé le terrain au NAGPRA, notamment la loi sur la préservation historique nationale de 1966, qui a permis aux Premières Nations de protéger leurs sites culturels et religieux (Macintosh 1986). La loi sur la liberté religieuse des Amérindiens de 1978 a également renforcé leurs droits à exercer leurs pratiques religieuses traditionnelles. Les relations entre les musées et les communautés amérindiennes s’en sont trouvées renforcées, et les communautés ont commencé à être davantage impliquées dans la recherche et l’exposition des collections.

Le NAGPRA a été précédé par quelques restitutions notables, ayant indirectement permis de prouver la faisabilité des restitutions vers les Premières Nations amérindiennes au sein des USA. Un cas notable de restitution a eu lieu dans les années 1980, impliquant des ceintures Wampum des Nations iroquoises. Ces objets historiques avaient été acquis de manière douteuse par le Musée de l’État de New York. Bien que les Iroquois aient initialement perdu leur procès en 1986, une négociation a conduit à la restitution volontaire de douze ceintures en 1989 (Sullivan 1992). Malgré des défis juridiques complexes, ce cas a montré qu’il était possible de parvenir à des accords de restitution, même en dehors d’une loi-cadre fédérale.

En 1989, un dialogue multilatéral s’est engagé au Heard Museum (The Panel for a National Dialogue on Museum/Native American Relations 1990) pour améliorer les relations entre musées et Amérindiens, aboutissant à la loi associée au Musée national des Indiens d’Amérique. Avec l’obligation faite aux musées subventionnés par des fonds fédéraux de restituer les restes humains aux peuples amérindiens, le NAGPRA, adopté en 1990, a donné aux Nations amérindiennes le contrôle sur les sites funéraires et les objets sacrés, imposant des obligations aux institutions recevant des fonds fédéraux pour signaler et restituer ces objets.

Le Native American Grave Protection & Repatriation Act : contenu et impact

La loi sur la protection et le rapatriement des sépultures amérindiennes, NAGPRA, votée le 16 novembre 1990, fait désormais partie constituante du chapitre 32 du Code américain, Titre 25 – Indiens. Le NAGPRA remet entre les mains des Nations amérindiennes le contrôle des sites funéraires, des restes humains, des objets funéraires et sacrés. Toute institution fédérale ou recevant des financements fédéraux doit se conformer à des obligations strictes, allant de la notification des objets aux Nations concernées à leur restitution, sur demande. La loi impose également des limites à la vente ou à la possession d’objets funéraires et sacrés, avec des sanctions pour les contrevenants.

Très clairement, malgré son style hermétique et ultra juridique, le NAGPRA s’inscrit dans un mouvement plus large visant à rectifier les torts gouvernementaux envers les Premières Nations amérindiennes, leur culture, leur religion et leur structure socio-politique. La loi constitue un outil clé pour aborder les comportements sociaux, en termes de collections, mais aussi les comportements gouvernementaux, historiques et éthiques ayant ciblé les communautés amérindiennes. Bien qu’il s’agisse d’une loi fédérale, elle s’applique à la majorité des musées, y compris privés, qui bénéficient de (ou prétendent à des) subventions fédérales.

Le NAGPRA réglemente donc le comportement des musées, des collectionneurs, des Nations amérindiennes et des intermédiaires, tels que les archéologues, galeristes et anthropologues. Initialement, les musées craignaient que la loi ne vide leurs collections d’œuvres amérindiennes, d’autant plus que la définition d’un objet sacré est déterminée par les Nations elles-mêmes, et non selon une définition écrite au sein de la loi, ou par un groupe d’experts externes aux enjeux associés à la restitution. Le concept de « sacré » couvre les objets nécessaires à la pratique des religions traditionnelles amérindiennes, selon la perspective des Nations. Un autre concept important est « l’affiliation culturelle », qui établit une relation ethnique entre l’objet et une Nation. Cette affiliation repose sur divers éléments, tels que l’anthropologie physique, la géographie et l’histoire orale, plutôt qu’une certitude scientifique absolue. Il est néanmoins nécessaire d’apporter des indices (à défaut de preuve), concernant cette affiliation culturelle.

Bien que le NAGPRA ait entraîné le rapatriement de nombreux objets, la loi n’a pas provoqué un vidage massif des musées et de leurs réserves. Selon le Bureau des Affaires indiennes, en 2023 on compte le rapatriement de 2.608 restes humains, 35.816 objets d’origines funéraires ou sacrés. Malheureusement, à l’heure où ces lignes sont écrites des incertitudes demeurent en l’absence du rapport final relatif à 2023 et de la méthodologie associée à ce décompte… Le Service du Parc National mentionne également 22.600 objets culturels, et 1.86 million d’objets funéraires transférés. Cependant, de nombreux objets restent dans les musées, car tous ne sont pas considérés comme sacrés ou soumis à rapatriement. Certains objets sont des artefacts quotidiens ou non religieux, tandis que d’autres ont perdu leur caractère sacré, ou ont été produits comme art touristique dès les 18e et 19e siècles.

Le NAGPRA n’est pas une loi parfaite et présente bien des embûches. Bien qu’elle ait poussé les musées à ouvrir leurs catalogues et à explorer leurs collections, le processus peut être lent et coûteux, et pour les musées, et pour les Premières Nations amérindiennes. Si les services associés au respect du NAGPRA n’étaient pas en mesure d’offrir des subventions (pour un total de 56 million USD$), il serait difficile de pouvoir en assurer l’application. La recherche de provenance et le manque de ressources peuvent poser des problèmes pour les institutions sous-financées ou les Nations qui doivent également faire face à d’autres priorités. De plus, le NAGPRA s’applique uniquement aux États-Unis, laissant les objets des Premières Nations amérindiennes dans des collections étrangères en dehors de son champ d’application.

Le NAGPRA, l’Europe et le contexte international

Bien que NAGPRA soit une loi spécifiquement américaine, elle offre des leçons importantes pour l’Europe sur le long terme. Elle illustre comment une approche législative ciblée peut encadrer la restitution d’objets culturels tout en protégeant les collections. Le NAGPRA ne concerne que les objets sacrés et funéraires, offrant une limite rassurante aux institutions qui collectionnent. L’un des aspects les plus intéressants du NAGPRA est la démarche ascendante qui a précédé son adoption. Les litiges et négociations ont permis de clarifier les enjeux et de préparer le terrain pour une législation relativement efficace. En Europe, la restitution d’œuvres d’art est souvent liée à des considérations politiques, ou une approche « top-down ». Mais une participation plus affirmée avec les communautés des origines concernées pourrait impliquer davantage les musées, les collectionneurs et les différents types de publics.

En Europe, la restitution est souvent l’affaire du pouvoir exécutif des états à leur plus haut niveau et est soumise à des considérations géopolitiques. Le retour d’objets africains ou asiatiques, et ce, quelle que soit la réalité de leur biographie, peut être utilisé pour renforcer les relations diplomatiques et économiques ou faciliter une négociation. Cependant, il serait essentiel d’étendre aux revendications de tous les citoyens du monde, y compris celles des Premières Nations amérindiennes, en reconnaissant le principe d’égalité entre tous les êtres humains posée par la déclaration de 1948, sans se soucier de l’appartenance à d’anciens empires coloniaux spécifiques.

Statue anthropomorphe Ahayu:da Zuni (USA), 20e siècle. Bois, 86,5 x 8,7 x 24,5 cm (© Musée du Quai Branly, n° d’inv. 71.1964.120.6 ; image publiée sur le site du musée).

Des cas de restitutions réussies, comme celui des Ahayu:da Zuni, illustrent les défis et les opportunités. Plusieurs cas d’études existent, mais on peut citer par exemple pour un des cas concomitant avec les processus menant au NAGPRA (Merrill, Ladd, Ferguson 1993). Aux États-Unis, les Zuni ont récupéré pacifiquement des objets sacrés volés, mais en Europe, les musées ne montrent pas toujours la même volonté de restitution (ou la possibilité de pouvoir le faire). Par exemple, le Musée du quai Branly à Paris conserve un Ahayu:da (inv. n° 71.1964.120.6) et la philosophie actuelle des pouvoirs publics français ne laisse pas entrevoir la possibilité d’une restitution prochaine. Le Musée Karl May (Radebeul, Allemagne), lui, a restitué un scalp amérindien, après sept ans de négociations, mais d’autres objets restent non réclamés.

Bien que le NAGPRA ne puisse pas résoudre tous les problèmes de restitution (et certainement ceux en Europe), cette loi américaine offre un modèle utile de coopération entre musées et communautés autochtones. Les décideurs européens pourraient s’inspirer de cette législation pour étudier les modalités de restitution d’objets à la provenance discutable, quelle que soit la communauté-source des revendications. On ne peut qu’espérer une collaboration européenne pour une législation unique du traitement des restitutions qui offrirait un accueil identique, des méthodes comparables de recherche et une même volonté de satisfaire les revendications des uns et des autres, dans le respect des cultures de chacun et du rôle des musées.

[Ce texte est l’abrégé d’un article de l’auteur, paru dans la revue allemande Politikum 2022(1)]

Références

Image à la une : Ceinture Wampum dite de Georges Washington, 1794. Perles de coquillages taillées, 183 cm. Coll. Onondaga Nation (© Onondaga Nation, Six Nations Legacy Consortium Collection, SNPL000064v00i; image publiée sur leur site web sous CC BY-NC-ND 4.0).

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