Le projet PROCHE (Recherches de PROvenance sur la Collection ethnographique – Herkomstonderzoek op de Ethografische collectie) est un projet belge de politique scientifique qui a été lancé en juillet 2022. Mis en œuvre par l’AfricaMuseum de Tervuren, ce programme a pour objectif de mener des recherches approfondies sur la provenance des objets ethnographiques et musicologiques provenant de la République Démocratique du Congo (RDC) conservés par le musée.  

Il a vu le jour dans un contexte de demandes croissantes de transparence, de décolonisation muséale et de restitution des objets culturels acquis pendant la période coloniale. En février 2022, un inventaire comprenant 83 234 objets ethnographiques provenant de la RDC a été remis par le Premier ministre belge au Premier ministre congolais Jean-Michel Sama Lukonde. Ce geste a marqué un tournant dans la reconnaissance de la nécessité de mener des recherches de provenance détaillées et accessibles. Le projet PROCHE s’inscrit ainsi dans une dynamique de collaboration avec les autorités congolaises et des institutions scientifiques locales pour effectuer des recherches de provenance sur ces objets. 

Le projet comporte trois axes principaux : 

  1. Mise en ligne de l’inventaire en open source : Il s’agit de rendre accessibles au public, sous forme d’une base de données en ligne, les informations détaillées sur ces objets, afin d’assurer une transparence des collections conservées par le musée. 
  1. Collaboration avec les institutions congolaises : Le projet met l’accent sur l’importance d’une collaboration étroite dans la recherche avec des institutions comme l’Institut des Musées Nationaux du Congo (IMNC) et l’Université de Kinshasa (UNIKIN), pour mener notamment des recherches sur le terrain. 
  1. Méthodologie axée sur les personnes : Ce projet comprend également la mise en œuvre d’une méthodologie visant la recherche sur les personnes liées à l’acquisition des collections. 

La mise en ligne d’une base de données en Open Source

L’un des premiers objectifs du projet PROCHE a été de créer une base de données en ligne, accessible à tous, comprenant l’inventaire des 83 234 objets mentionnés précédemment et regroupant des informations détaillées sur ces objets, notamment leurs photographies, leur mode d’acquisition, leurs dates de collecte et les personnes associées à chaque objet. Ces informations proviennent du système de gestion interne des collections TMS (The Museum System) accessible seulement en interne. La mise en ligne de cette base de données représente une avancée majeure, car il s’agit de la première fois que l’AfricaMuseum publie un tel inventaire en ligne, accessible à un public large, et en particulier aux chercheurs et aux communautés intéressées par ces objets. 

L’AfricaMuseum à Tervuren, Belgique (gauche) et le Musée national de la République démocratique du Congo à Kinshasa (droite). (©Madelon Dewitte)

Une collaboration institutionnelle de recherche avec l’IMNC et l’UNIKIN 

Contexte initial

Les relations entre l’AfricaMuseum et l’Institut des Musées Nationaux du Congo (IMNC) sont marquées par un passé tumultueux. Ce projet, qui se déroule dans le cadre de la décolonisation des musées, a suscité des débats et des tensions, tant en Belgique qu’en République Démocratique du Congo. Depuis la création de l’IMNC en 1970, cette institution a collaboré avec l’Africamuseum, en particulier dans le domaine des collections ethnographiques et musicologiques. Le projet PROCHE fait partie de cette longue tradition de collaboration, mais il intervient dans un contexte plus sensible, marqué par les discussions sur la restitution des objets culturels africains. Le processus de restitution reste un sujet délicat, notamment en raison des accusations sur l’authenticité de certains objets, comme le masque Kakuungu qui a été prêté par l’AfricaMuseum à la RDC en 2022. Ces débats ont mis en lumière des doutes concernant la validité des objets susceptibles d’être restitués et ont alimenté les préoccupations des chercheurs et des autorités congolaises quant à l’authenticité des collections. 

Le processus de recherche de provenance s’est concrétisé par la formation d’une équipe de chercheurs belges et congolais. En 2023, cinq chercheurs congolais ont été sélectionnés sur la base de leurs qualifications et de leurs compétences dans les domaines de l’anthropologie, de l’histoire et de la muséologie. Ils ont été chargés de mener des recherches approfondies sur certaines communautés congolaises et les objets qui leur sont associés. 

Méthodologie de recherche

La démarche a commencé par une vérification dans les fichiers analytiques et dans les registres des cinq réserves que compte l’IMNC au Mont-Ngaliema à Kinshasa avant sa délocalisation. Cet exercice a permis de faire l’identification, le décompte, et la cartographie des communautés représentées, absentes et sous-représentées. La partie IMNC a donc opté pour une cartographie des absences et des lacunes. Dès le départ, l’idée était de combler le vide et la carence informationnelle au sujet des collections conservées à l’IMNC. 

Après un premier séjour de recherche en Belgique, les chercheurs ont été envoyés sur le terrain pour collecter des informations directement auprès des communautés d’origine des objets. Parmi les communautés étudiées, on retrouve les Nande, les Woyo, les Bakwa Kalonji et d’autres groupes ethniques du Kasaï, du Kivu, et du Sankuru. Ce travail de terrain permet de compléter les informations disponibles dans les bases de données du MRAC et de corriger certaines erreurs ou omissions concernant les objets de la collection. Les chercheurs ont également fait face à des défis logistiques et sécuritaires, notamment dans les régions du Kivu, où des tensions politiques et des problèmes d’insécurité ont limité l’accès à certaines communautés. Malgré ces difficultés, les chercheurs ont continué à travailler sur le terrain et ont également entrepris des missions répétées en Belgique pour reconstituer leurs corpus et réévaluer leurs recherches initiales. 

La méthodologie utilisée pour les recherches en RDC combine des techniques modernes d’analyse muséologique et des enquêtes de terrain. Les chercheurs ont mis en place des ateliers de renforcement des capacités, animés par des experts de l’Université de Kinshasa, pour se familiariser avec les spécificités des communautés étudiées et les outils de recherche propres à la RDC. L’objectif de cette méthodologie est non seulement de retracer l’histoire des objets, mais aussi de mieux comprendre les rôles et fonctions de ces objets dans leurs communautés d’origine. Une dimension importante de la recherche consiste à recouper les informations recueillies sur le terrain avec celles disponibles dans les bases de données du MRAC et de l’IMNC. Cela permet d’établir des liens plus solides entre les objets et leurs communautés d’origine, tout en mettant en lumière les lacunes et les erreurs dans les données existantes. 

L’une des premières découvertes marquantes du projet a été l’identification de plusieurs erreurs dans la description des objets. Par exemple, un outil de travail décrit comme une houe a été identifié par la communauté concernée comme étant un « mbatso », utilisé pour travailler le bois. Cette reconstitution des usages des objets est essentielle pour rendre justice à leur histoire et à leur signification culturelle. 

Collaboration avec les musées provinciaux en RDC 

L’une des innovations du projet PROCHE est l’implication des musées provinciaux dans les recherches. En RDC, l’IMNC coordonne un réseau de musées à travers le pays, et l’objectif est d’associer ces musées locaux aux recherches menées par les chercheurs. Le projet cherche ainsi à garantir une approche plus inclusive et nationale, en intégrant les musées de provinces tels que ceux de Mai-Ndombe, Boma, Sankuru, et d’autres. 

Les musées provinciaux jouent un rôle clé dans la préservation et l’étude du patrimoine culturel congolais. Grâce à leur collaboration, le projet PROCHE permet de mieux comprendre les collections locales et de renforcer les capacités des musées en province. Les chercheurs ont pu bénéficier de cette coopération pour mener leurs recherches sur le terrain, en recueillant des témoignages et des informations directement auprès des communautés locales. 

Il convient de noter que le projet finance également trois thèses de doctorat de l’Université de Kinshasa. Ces recherches s’articulent également entre des séjours de recherches en Belgique et des recherches de terrain en RDC. Chaque thèse porte sur des objets faisant partie des collections du MRAC1.

Méthodologie de recherche sur les personnes liées 

Enfin, le dernier aspect du projet concerne les recherches sur la provenance menées par l’équipe belge. Il est important de mentionner que le projet est mis en œuvre par la politique et qu’il est confronté à des réalités scientifiques. Sa durée limitée, combinée aux volumes du corpus d’objets inclus dans l’inventaire, a nécessité l’adaptation de la méthodologie afin d’offrir des résultats plus concluants à la recherche  

Ainsi, afin de servir de base à de futures recherches, il a été décidé de se concentrer sur les personnes associées à l’acquisition des objets concernés par le projet. Il peut s’agir des collectionneurs, des vendeurs ou des créateurs de ces objets par exemple. Pour ce faire, il est nécessaire de compiler un maximum d’informations à partir de leurs noms afin d’établir des biographies complètes pour chacun de ces individus. Il est estimé qu’une recherche biographique permet d’évaluer les termes possibles de la transaction ou, du moins, son contexte relationnel. Elle permettra également d’identifier plusieurs catégories concernant les professions ou activités de ces personnes au Congo ou en Belgique, telles que des marchands d’art, des administrateurs coloniaux, des militaires, des missionnaires, des scientifiques, etc. L’objectif est d’illustrer les réseaux existants entre ces personnes, le musée et les différentes institutions au Congo pendant la période coloniale. Cette catégorisation des individus permettra d’établir une estimation statistique des types de réseaux qui ont participé à la constitution des collections.  Les biographies d’individus seront disponibles sur la base de données évoquées précédemment.  

Une analyse rapide des chiffres a également fourni quelques repères méthodologiques, notamment en termes de priorité quantitative. Il est établi qu’il y a 2300 noms liés aux collections. Il est également constaté que la plupart de ces noms, 983 personnes, ne sont associés qu’à un seul objet, tandis que seules 18 personnes correspondent à des collections contenant plus de mille objets. Ce travail marque une première étape dans l’identification du parcours des objets à travers les individus qui les ont possédés ou manipulés et contribue à la constitution des collections du musée. 

Conclusion

Le projet PROCHE représente une tentative importante de clarification de la provenance des objets conservés à l’AfricaMuseum. En cherchant à rendre accessibles les informations sur ces objets et à collaborer avec les institutions congolaises, le projet permet de mieux comprendre les contextes historiques et les réseaux impliqués dans leur acquisition. Toutefois, les défis demeurent nombreux, notamment en ce qui concerne la fiabilité des données et la résolution des erreurs identifiées. Si le projet a permis des avancées, il reste encore beaucoup à faire pour garantir une transparence complète et une réévaluation des collections dans une perspective de décolonisation véritable. Cette initiative ouvre des pistes de réflexion, mais le chemin vers une restitution juste et précise des objets culturels reste complexe et de long terme. 

1 Rodrigue Nzelokuli étudie les modalités d’acquisition des objets Mbole de la Société secrète Lilwakoy au Congo belge entre 1900 et 1950. Rodrigue Rutebuka prépare une thèse intitulée « L’odyssée des masques du Bwami Lega : Résistance et adaptation dans les arts et les rituels (1950 – 1960) ». Astrid Munyemba travaille sur la présence d’objets magico-religieux Songye dans les collections de l’AfricaMuseum.

Image à la une: L’AfricaMuseum à Tervuren, Belgique et le Musée national de la République démocratique du Congo à Kinshasa (© Madelon Dewitte)

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